Il y a toujours dans notre vie actuelle deux alternatives; l'expérience a prouvé que dans aucun cas il ne fallait s'en faire, et voici pourquoi :
Etant au dépôt il y deux alternatives : ou vous êtes envoyé sur le front ou vous partez pour l'arrière.
Si vous partez pour l'arrière, vous ne vous en faites pas.
Si vous partez pour le front, il y a deux alternatives : vous vous trouvez dans la zone marmitée ou dans la zone qui ne l'est pas.
Dans ce dernier cas vous ne vous en faites pas.
Si vous êtes dans la zone marmitée il y a encore deux alternatives : ou les marmites éclatent ou elles n'éclatent pas.
Si elles n'éclatent pas il n'y a qu'à en rire.
Si elles éclatent il y a deux alternatives : ou vous êtes touché ou vous ne l'êtes pas.
Si vous n'avez qu'une petite émotion pas besoin de s'en faire; mais si vous êtes touché il y a deux alternatives : vous êtes blessé grièvement ou légérement.
Dans ce dernier cas vous faites votre pansement et ne vous en faites pas du tout.
Dans l'autre cas il y a encore deux alternatives : vous en mourez ou vous n'en mourez pas.
Dans la première, c'est clair, vous ne vous en faites plus.
Dans la seconde, il y a deux alternatives : on vous ampute ou on ne vous ampute pas.
Si vous êtes amputé, vous êtes réformé et il n'y a pas à s'en faire.
Dans les deux cas on vous mène à l'hôpital ou vous êtes bien soigné et moins que jamais il ne faut s'en faire.
Mais dans le second cas il y a deux alternatives : à votre guérison vous êtes envoyé au dépôt ou en convalescence; c'est la bonne vie et on ne s'en fait pas.
Mais si vous êtes envoyé au dépôt il y a encore deux alternatives : ou vous êtes renvoyé sur le front ou on vous renvoie à l'arrière.
Le rat à poil n° 12 avril 1916.